Petit-déjeuner ou pas ?

Le 06/12/2025 0

Dans Mes articles

  

Temps de lecture :  8 minutes / Mis à jour le 6 décembre 2025

Petit-déjeuner ou pas ? Par Jérôme Caradec - Diététicien nutritionniste

 

Le petit-déjeuner, pour beaucoup de Français, c’est l’odeur du café, le bruit du pain grillé, un moment suspendu avant la course du matin. Ce rituel familier, à la fois intime et culturel, semble indiscutable. Pendant des décennies, on nous a répété qu’il s’agissait du repas le plus important de la journée, garant d’énergie, de concentration et de bonne humeur.
Mais d’où vient cette certitude ? Des traditions ? Des campagnes de santé publique ? Ou d’une idée savamment entretenue par l’industrie agroalimentaire ?
Aujourd’hui, la science bouscule cette croyance. Certaines études montrent que sauter le petit-déjeuner n’a pas d’effet négatif sur la santé ou le poids, tandis que d’autres confirment les bénéfices d’un repas matinal équilibré sur la vigilance et la régulation de la glycémie.
Entre héritage culturel et données scientifiques, le petit-déjeuner reste un sujet fascinant, à la croisée du plaisir, de la biologie et des habitudes sociales.

1/ D'où vient l'idée du "repas le plus important de la journée" ?

1-1 / Les origines historiques

Jusqu’au XIXe siècle, le petit-déjeuner n’était pas un repas structuré. Dans les campagnes françaises, on consommait souvent une soupe ou un bouillon le matin, parfois du pain trempé dans du lait ou du vin1.

Le café noir, introduit en France au XVIIe siècle, s’est diffusé lentement dans les foyers, d’abord urbains puis ruraux, au cours du XIXe siècle2.
Ce n’est qu’avec la révolution industrielle, entre 1830 et 1870, que le petit-déjeuner devient un véritable repas : les ouvriers ont besoin d’énergie avant une longue journée d’usine3.
Le pain, le lait et le café deviennent alors les symboles d’un départ « solide » et d’une alimentation moderne, reflet d'une société en plein essor industriel.

1-2 / L'influence du marketing alimentaire

À la fin du XIXe siècle, aux États-Unis, dans l'État du Michigan, au nord des Grands Lacs, un médecin du nom de John Harvey Kellogg dirige un lieu unique : le Battle Creek Sanitarium. C'est un grand centre de santé où l'on soigne les patients sans médicaments, en misant sur l'alimentation, l'exercice, les bains, les massages et le repos. On y vient pour prévenir ou soulager les maladies digestives, nerveuses ou métaboliques, dans un cadre médical encadré par des médecins et inspiré des séjours de cure.

Kellogg appartient au mouvement adventiste du septième jour, une Église protestante née au XIXe siècle qui prône la sobriété, la santé du corps comme reflet de la santé de l'âme, et une alimentation sans viande. Les adventistes considèrent que prendre soin de soi est un devoir spirituel : éviter l'alcool, le tabac, les épices et les excès fait partie de leur foi. C'est dans cet esprit que Kellogg développe une cuisine simple, destinée à purifier le corps et à prévenir les troubles digestifs.

En 1894, avec son frère Will Keith Kellogg, il met au point par hasard les premiers flocons. L'expérience commence avec une pâte de blé bouillie oubliée sur le feu. En la repassant au rouleau, les deux frères obtiennent des lamelles fines qui, une fois grillées, deviennent croustillantes. Quelques années plus tard, ils remplacent le blé par le maïs, plus digeste et plus agréable au goût : les cornflakes sont nés. Ces flocons sont d'abord conçus comme une préparation thérapeutique, servie aux patients du sanatorium.

Will Keith Kellogg perçoit rapidement le potentiel commercial de cette invention. Il fonde la Kellogg Company et transforme la recette médicale en produit industriel. Les cornflakes quittent les plateaux du sanatorium pour envahir les tables américaines. Mais leur succès ne repose pas seulement sur le goût : il s'appuie sur une stratégie marketing inédite. Dès les années 1910, Kellogg investit massivement dans la publicité et associe ses céréales à la santé, à la modernité et à la réussite. Dans les années 1950, le slogan « Breakfast is the most important meal of the day » s'impose dans les médias : le petit-déjeuner devient un symbole de vitalité et de performance.

Cette idée n'est pas née d'une découverte scientifique, mais d'un discours façonné par l'industrie. Des travaux d'historiens et de chercheurs en nutrition montrent que, dès le milieu du XXe siècle, les grandes entreprises céréalières américaines ont financé des campagnes éducatives, des études et des experts pour légitimer leurs produits4. Ces financements ont contribué à orienter les messages nutritionnels diffusés au grand public.

En France, les marques de céréales et de produits laitiers reprennent ce discours dans les années 1970-1980. Les publicités montrent des enfants souriants, des parents dynamiques, des bols fumants : manger le matin devient un rituel de réussite et d'énergie. Cette image s'ancre durablement dans les habitudes alimentaires françaises, soutenue par les recommandations nutritionnelles de l'époque.

Aujourd'hui encore, la croyance selon laquelle le petit-déjeuner serait le repas le plus important de la journée reste profondément ancrée.

2/ Les recommandations officielles

Le Programme National Nutrition Santé (PNNS) est la politique publique de référence en matière d'alimentation et d'activité physique. Créé en 2001 par le Ministère de la Santé, il fixe les repères nutritionnels destinés à améliorer la santé de la population et à prévenir les maladies chroniques liées à la nutrition. Chaque version du PNNS s'appuie sur les données scientifiques disponibles et adapte ses messages aux évolutions des modes de vie.

Pendant longtemps, ces recommandations ont présenté le petit-déjeuner comme un repas essentiel.

Le PNNS 3 (2011-2015) encourageait clairement à ne pas sauter le petit-déjeuner, considéré comme indispensable pour éviter les grignotages, maintenir la concentration et assurer un bon équilibre énergétique sur la journée. Le modèle alimentaire reposait alors sur trois repas structurés : petit-déjeuner, déjeuner, dîner, avec éventuellement une collation. Le message phare était simple : « Un petit-déjeuner équilibré, c'est un produit céréalier, un produit laitier et un fruit ». Cette approche visait à instaurer des repères pratiques, notamment pour les enfants et les adolescents, dans un contexte de prévention de surpoids et d'obésité.

Avec le PNNS 4 (2023-2027), la vision évolue. Les nouvelles orientations ne considèrent plus le petit-déjeuner comme obligatoire. Elles insistent sur l'écoute des signaux de faim et de satiété, la souplesse des rythmes alimentaires et la qualité globale de l'alimentation plutôt que la fréquence des repas. Le petit-déjeuner devient ainsi un repas possible, à adapter selon les besoins et les habitudes de chacun.

S'il est pris, il doit privilégier des aliments simples et peu transformés :

  • un produit céréalier complet (pain, flocons d'avoine, muesli sans sucres ajoutés)
  • un fruit frais ou une portion de fruits entiers
  • un produit laitier ou une alternative végétale non sucrée

Le PNNS 4 met également en garde contre les produits sucrés du matin : céréales raffinées, biscuits, viennoiseries, jus de fruits. L'objectif n'est plus de manger à tout prix au réveil, mais de préserver la qualité nutritionnelle et la régularité des apports sur la journée. Cette évolution traduit une approche plus individualisée, fondée sur la diversité des rythmes de vie, des besoins métaboliques et des préférences alimentaires.

L'évolution des recommandations du petit-déjeuner en France - Jérôme Caradec - Diététicien nutritionniste

3/ Ce que dit la science aujourd'hui

Les recherches récentes nuancent fortement l'idée d'un petit-déjeuner indispensable. Les effets métaboliques observés varient selon le profil individuel, le mode de vie, la composition du repas et le contexte glycémique et insulinique de chacun.

3-1 / Régulation de la glycémie

La régulation glycémique dépend avant tout de la sensibilité à l'insuline, du rythme circadien et de la répartition énergétique sur la journée.

Chez les personnes en bonne santé métabolique, l'omission du petit-déjeuner peut parfois améliorer la flexibilité métabolique et la sensibilité à l'insuline, notamment dans le cadre d'un jeûne intermittent bien conduit, c'est-à-dire structuré, adapté et équilibré5. En revanche, chez des sujets présentant une résistance à l'insuline, un diabète de type 2 ou un syndrome métabolique, le petit-déjeuner semble favoriser une meilleure tolérance au glucose et une réponse insulinique plus adaptée6.

Les rythmes circadiens jouent également un rôle majeur : la sensibilité à l'insuline est plus élevée le matin, ce qui explique qu'un apport glucidique modéré et équilibré à ce moment de la journée puisse être mieux métabolisé. Cependant, cette observation ne justifie pas une obligation universelle : la régularité des repas, la qualité des glucides et la densité nutritionnelle globale priment sur l'heure précise de la première prise alimentaire.

3-2/ Poids et composition corporelle

Le petit-déjeuner occupe une place symbolique forte. Pour certains, il serait la clé d'un poids stable et pour d'autres, un repas facultatif. En réalité, la science nuance cette idée reçue.

Des études montrent que la présence ou l'absence de petit-déjeuner n'influence pas directement la perte de poids :

3-3/ Performances mentales et vigilance

Le petit-déjeuner, souvent présenté comme le carburant du cerveau, mérite qu'on regarde de plus près ce qu'en dit la science.

Chez l'enfant et l'adolescent, les études sont claires : un petit-déjeuner équilibré aide à mieux se concentrer, à retenir les informations et à rester attentif plus longtemps. Quand le repas du matin contient des produits céraliers complets riches en fibres - comme le pain au levain ou les flocons d'avoine - l'énergie arrive doucement, sans pic ni fatigue. Une étude montre même que les élèves qui déjeunent régulièrement ont de meilleurs résultats scolaires et une humeur stable9.

Chez l'adulte, c'est plus subtil. Si le dîner de la veille était léger ou si la nuit a été courte, le petit-déjeuner peut faire la différence. Une étude a observé qu'un repas du matin associant céréales complètes et protéines soutenait la mémoire et la vigilance plusieurs heures durant, alors qu'un petit-déjeuner très sucré entraînait une baisse d'attention en fin de matinée10.

4/ Adapter le petit-déjeuner à soi

Les données scientifiques montrent que le petit-déjeuner n'a pas la même importance pour tous. Son intérêt dépend du rythme biologique, du mode de vie, de l'état de santé et des objectifs nutritionnels. L'enjeu n'est donc pas de le rendre obligatoire, mais de l'ajuster à chaque profil.

4-1 / Rythme biologique  et mode de vie

Le rythme circadien influence la tolérance au glucose et la sensibilité à l'insuline : ces paramètres sont plus favorables le matin, mais varient selon les individus. Chez les personnes travaillant de nuit ou suivant le jeûne intermittent, la première prise alimentaire peut être décalée sans conséquence métabolique si la répartition énergétique reste cohérente sur la journée.

4-2 / Besoins physiologiques et situations particulières

  • Enfants et adolescents : un petit-déjeuner équilibré améliore la concentration et la mémoire de travail.
  • Personnes âgées : un repas matinal riche en protéines contribue à préserver la masse musculaire, souvent diminuée avec l'avancée en âge.
  • Sportifs : Un apport protéique et glucidique avant l'effort soutient la performance et la récupération.
  • Diabète et syndrome métabolique : un petit-déjeuner modéré en aliments glucidiques à index glycémique bas améliore la glycémie postprandiale.

4-3 / Troubles digestifs

Chez les personnes souffrant de troubles digestifs (reflux, maladies inflammatoires chroniques de l'intestin, syndrome de l'intestin irritable), un petit-déjeuner léger adapté peut améliorer le confort intestinal.

4-4 / Troubles du comportement alimentaire

Dans les troubles du comportement alimentaire, la réintroduction progressive du petit-déjeuner aide à restaurer la régularité alimentaire et la perception de la faim.

4-5 / Qualité nutritionnelle et équilibre

Un petit-déjeuner de qualité repose sur :

→ une source de protéines (œuf, yaourt, fromage, tofu)

→ des glucides complexes associés à des fibres (pain complet au levain, flocons d'avoine)

→ des graisses de bonne qualité 

→ des vitamines, des minéraux et des antioxydants

Conclusion

Le petit-déjeuner n'est pas une règle à suivre, c'est une rencontre avec soi. Il ne s'agit pas de cocher des cases ou de reproduire un modèle, mais de comprendre ce qui vous va vraiment. Ce qui compte, c'est d'écouter vos signaux, de respecter votre rythme et de ne pas vous forcer à manger ou à vous priver sans raison.

Si vous vivez avec un diabète, un syndrome métabolique, des troubles digestifs ou un emploi du temps chargé, ce repas peut être ajusté à vos besoins. Il n'existe pas de modèle unique : un petit-déjeuner adapté, c'est celui qui soutient votre énergie sans inconfort, qui respecte vos contraintes et vos goûts. L'alimentation n'est pas une suite d'interdits, mais un équilibre à construire, jour après jour.

Ne cherchez pas la perfection : cherchez la cohérence. Un petit-déjeuner équilibré ne compense pas un dîner trop riche, pas plus qu'un oubli ne ruine vos efforts. Ce qui est important, c'est la régularité, la qualité globale de votre alimentation et la relation apaisée que vous entretenez avec elle.

Alors, que vous soyez du matin ou non, que vous mangiez tôt ou plus tard, accordez-vous ce droit d'expérimenter. Observez ce qui vous fait du bien, ce qui vous donne de l'énergie, ce qui vous apaise. Le petit-déjeuner n'est pas une obligation, mais une possibilité.

Jérome Caradec - Diététicien nutritionniste en Île-de-France

Rédigé par Jérôme Caradec - Diététicien nutritionniste

Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire

Anti-spam