1-1 / Les origines historiques
Jusqu’au XIXe siècle, le petit-déjeuner n’était pas un repas structuré. Dans les campagnes françaises, on consommait souvent une soupe ou un bouillon le matin, parfois du pain trempé dans du lait ou du vin1.
Le café noir, introduit en France au XVIIe siècle, s’est diffusé lentement dans les foyers, d’abord urbains puis ruraux, au cours du XIXe siècle2.
Ce n’est qu’avec la révolution industrielle, entre 1830 et 1870, que le petit-déjeuner devient un véritable repas : les ouvriers ont besoin d’énergie avant une longue journée d’usine3.
Le pain, le lait et le café deviennent alors les symboles d’un départ « solide » et d’une alimentation moderne, reflet d'une société en plein essor industriel.
1-2 / L'influence du marketing alimentaire
À la fin du XIXe siècle, aux États-Unis, dans l'État du Michigan, au nord des Grands Lacs, un médecin du nom de John Harvey Kellogg dirige un lieu unique : le Battle Creek Sanitarium. C'est un grand centre de santé où l'on soigne les patients sans médicaments, en misant sur l'alimentation, l'exercice, les bains, les massages et le repos. On y vient pour prévenir ou soulager les maladies digestives, nerveuses ou métaboliques, dans un cadre médical encadré par des médecins et inspiré des séjours de cure.
Kellogg appartient au mouvement adventiste du septième jour, une Église protestante née au XIXe siècle qui prône la sobriété, la santé du corps comme reflet de la santé de l'âme, et une alimentation sans viande. Les adventistes considèrent que prendre soin de soi est un devoir spirituel : éviter l'alcool, le tabac, les épices et les excès fait partie de leur foi. C'est dans cet esprit que Kellogg développe une cuisine simple, destinée à purifier le corps et à prévenir les troubles digestifs.
En 1894, avec son frère Will Keith Kellogg, il met au point par hasard les premiers flocons. L'expérience commence avec une pâte de blé bouillie oubliée sur le feu. En la repassant au rouleau, les deux frères obtiennent des lamelles fines qui, une fois grillées, deviennent croustillantes. Quelques années plus tard, ils remplacent le blé par le maïs, plus digeste et plus agréable au goût : les cornflakes sont nés. Ces flocons sont d'abord conçus comme une préparation thérapeutique, servie aux patients du sanatorium.
Will Keith Kellogg perçoit rapidement le potentiel commercial de cette invention. Il fonde la Kellogg Company et transforme la recette médicale en produit industriel. Les cornflakes quittent les plateaux du sanatorium pour envahir les tables américaines. Mais leur succès ne repose pas seulement sur le goût : il s'appuie sur une stratégie marketing inédite. Dès les années 1910, Kellogg investit massivement dans la publicité et associe ses céréales à la santé, à la modernité et à la réussite. Dans les années 1950, le slogan « Breakfast is the most important meal of the day » s'impose dans les médias : le petit-déjeuner devient un symbole de vitalité et de performance.
Cette idée n'est pas née d'une découverte scientifique, mais d'un discours façonné par l'industrie. Des travaux d'historiens et de chercheurs en nutrition montrent que, dès le milieu du XXe siècle, les grandes entreprises céréalières américaines ont financé des campagnes éducatives, des études et des experts pour légitimer leurs produits4. Ces financements ont contribué à orienter les messages nutritionnels diffusés au grand public.
En France, les marques de céréales et de produits laitiers reprennent ce discours dans les années 1970-1980. Les publicités montrent des enfants souriants, des parents dynamiques, des bols fumants : manger le matin devient un rituel de réussite et d'énergie. Cette image s'ancre durablement dans les habitudes alimentaires françaises, soutenue par les recommandations nutritionnelles de l'époque.
Aujourd'hui encore, la croyance selon laquelle le petit-déjeuner serait le repas le plus important de la journée reste profondément ancrée.